Glafaf, glafaf…


Jessica Roberts


Glafaf ! s’exclama Gracie, une gamine d’un an et demi, en tirant Miguel par la jambe de son pantalon.

Plaît, glafaf ! répéta-t-elle de sa voix la plus câline.

Miguel semblait désemparé. C’était la première fois qu’il m’aidait avec un groupe de tout petits, et il n’avait pas encore appris à décrypter leur langage.

Les supplications de Gracie se firent plus insistantes :

Plaît, plaît, glafaf, Miguel !

Miguel me demanda, perplexe :

Qu’est-ce qu’elle dit ?

Elle veut un flannellographe, lui répondis-je en riant. C’est une façon de raconter des histoires avec des figurines que l’on dispose sur ce tableau de feutrine.

Je me penchais vers Gracie pour lui demander :

Quelle histoire est-ce que tu aimerais, ma chérie ?

Bouneige ! répondit-elle, satisfaite.

Elle veut dire « Boule de neige », expliquai-je.

Gracie, tout sourire, alla s’installer sur sa chaise, suivie des autres enfants. J’allai chercher le texte et les figurines de l’histoire en question et les tendis à Miguel.

C’est l’histoire d’une petite brebis appelée « Boule de neige » qui apprend à ses dépends qu’il ne faut pas s’éloigner du berger, lui dis-je. J’ai une ou deux petites choses à faire, mais je serai de retour dans quelques minutes. Tu sauras bien te débrouiller.

Miguel montrait une certaine hésitation :

Comment fais-tu pour les comprendre ? Pour moi, tout ce qu’ils disent c’est du charabia.

Il faut que tu sois patient et que tu fasses bien attention à ce qu’ils cherchent à dire, plutôt qu’à leur façon de le dire, lui lançai-je en me dépêchant de sortir.


Miguel se débrouilla comme un chef, mais pour moi les choses ne tardèrent pas à se gâter. En effet, j’eus un différend avec mon petit ami, au point de vouloir rompre avec lui. Je fulminais encore lorsque Rebecca, la maman de l’un des enfants dont j’avais la garde, me demanda ce qui n’allait pas.

Oh les hommes ! m’écriai-je, hors de moi. Ils sont impossibles ! Mon copain peut être le meilleur des hommes, mais je n’arrive pas toujours à le comprendre ! Parfois on s’entend à merveille, et parfois j’ai l’impression qu’on ne parle pas la même langue ! Qu’est-ce qu’il cherche à me dire ?!

Pendant que je me répandais en lamentations, Rebecca hochait la tête avec sympathie. Une fois que j’eus vidé mon sac, elle me rassura :

Je sais ce que tu ressens. Cela m’arrive quelquefois avec mon mari.

Je la fixai du regard, incrédule. Rebecca, elle, si calme, si gentille, se mettre en colère ? Je ne pouvais l’imaginer.

C’est quoi ton secret ? lui demandai-je. Comment fais-tu pour garder ton sang froid dans ce genre de situation ?

Après quelques secondes de réflexion, elle me confia :

Je crois que j’ai appris à être patiente et à faire bien attention à ce que mon mari cherche à me dire, plutôt qu’à sa façon de me le dire.


Voilà que mes propres paroles m’étaient renvoyées à la figure, et cela me donna à réfléchir. Combien de fois avais-je manqué de patience et d’amour envers mon ami et envers les autres ─ cette patience et cet amour que j’avais appris à montrer aux enfants ? Ce jour-là, je décidai d’apprendre à écouter. Au lieu de me laisser affecter par l’irritation ou la frustration de mes interlocuteurs, j’essayerai désormais d’écouter ce que leur cœur cherche à exprimer.


Et j’ai découvert que ça marchait tout aussi bien avec les « grandes personnes » !